La lombalgie, couramment appelée « tour de rein » ou « lumbago », touche ou touchera 8 personnes sur 10, à un moment ou à un autre de leur vie.
Si dans la grande majorité des cas, elle est commune et régresse spontanément en quelques semaines, dans 5% des cas, elle peut masquer une maladie plus sérieuse, comme une fracture, un cancer, une infection ou encore une inflammation : on parlera alors de lombalgie spécifique.
Depuis le Plan de Refondation des Urgences de 2019, les patients peuvent directement vous consulter en premier recours, sans ordonnance ni consultation médicale préalable, en cas de lombalgie aiguë.
Dans ce cas, il vous revient d’identifier la cause probable de la lombalgie, et d’évaluer les risques.
Pour cela, vous disposez de tests spécifiques, mais aussi d’indicateurs précis, que vous devez intégrer à votre pratique, particulièrement lors de cette consultation initiale.
Les plus pertinents sont ce qu’on appelle les Red Flags ou signes cliniques critiques. Ils appellent à un diagnostic médical.
Il vous appartient alors d’orienter votre patient, et de référer à l’équipe médicale qui le prendra en charge pour qu’elle puisse poser un diagnostic précis et fiable.
Mais, qu’appelle-t-on Red Flags, et comment les repérer pour sécuriser l’accompagnement thérapeutique de vos patients lombalgiques ?
C’est ce que nous verrons ci-après.
Qu’est-ce que les Red Flags en lombalgie ?
Définition :
Dans le cadre des lombalgies, le Red Flag (ou drapeau rouge) est un signe clinique d’alerte qui doit vous faire suspecter la présence d’une cause sous-jacente grave, qui nécessite une prise en charge urgente : fracture pathologique, néoplasie, infection, complication neurologique, etc.
Pourquoi sont-ils essentiels ?
Si pris isolément, le Red Flag est peu spécifique, leur combinaison doit systématiquement vous alerter.
En effet, la prise en compte de ces signes d’alerte dans l’évaluation initiale permet de réduire le risque de complications graves (fractures, infections, cancers), et d’apporter une prise en charge sécurisante et de qualité à vos patients.
Et, si elle est déterminante lors de cette première consultation, l’évaluation de ces Red Flags au fil des séances, l’est tout autant pour mesurer les progrès et l’efficacité des soins que vous apportez à votre patient douloureux, mais aussi parce que l’état de votre patient peut évoluer à n’importe quel moment.
Différence entre Red Flags et Yellow Flags :
Les Red Flags sont les indicateurs d’une pathologie organique grave et/ou de comorbidités (facteurs biomédicaux), tandis que les Yellow Flags concernent les facteurs psychosociaux, qui majorent le risque de chronicité (stress, anxiété, dépression).
Ces Yellow Flags doivent également être identifiés dès la première consultation.
Le questionnaire Keele STarT Back Screening Tool vous permet déjà d’y voir plus clair.
Les principaux Red Flags à surveiller :
Les principaux Red Flags concernent la douleur, la présence de comorbidités, et de signes généraux, infectieux et/ou neurologiques.
On peut les regrouper comme suit :
Âge de votre patient : | Interrogatoire/ Anamnèse : | Tableau clinique : | Examen clinique : |
< 20 ans > 55 ans. | Traumatisme récent (chute, AVP…) Ostéoporose connue. Antécédent de cancer (ou suspicion de métastases). Immunosuppression. Corticothérapie prolongée (ex : asthme). Toxicomanie (risque infectieux ++ /injections). HIV. | Douleur : Inexpliquée, en constante aggravation, nocturne, rebelle au repos et aux traitements, douleur non mécanique. Douleur thoracique (rachialgie dorsale). AEG. Perte de poids inexpliquée. | Fièvre, frisson, sueursnocturnes, éruption cutanée (suspicion d’infection), Symptômes neurologiques : troubles sphinctériens (incontinence urinaire et/ou fécale, anesthésie en selles) = syndrome de la queue de cheval. Déficit sensitif ou moteur d’allure brutale. Paresthésie pubienne (ou du périnée). Déformation de la colonne. |
Yellow Flags : évaluer le risque de chronicité
Les facteurs psychosociaux influençant la chronicité :
Il s’agit notamment :
- Du stress lié au travail ou à la douleur.
- De la Kinésiophobie : peur de bouger.
- De la mauvaise stratégie d’adaptation.
- Des fausses croyances autour de la douleur ou de la maladie.
- Du catastrophisme.
- De dépression, d’angoisse ou d’anxiété.
Les critères de chronicisation :
On retrouve principalement :
- La persistance des douleurs > 3 mois malgré la mise en place d’un traitement.
- L’évitement des activités quotidiennes ou professionnelles.
- Les antécédents de lombalgie chronique ou récidivante.
Les Yellow Flags sont prédictifs de la résolution des symptômes lombalgiques : en leur présence, la guérison est plus lente, les symptômes peuvent persister, et mener à des arrêts de travail voire à une invalidité.
En plus des drapeaux rouges et des jaunes, il existe les drapeaux :
- Bleus, qui intègrent les facteurs socio-économiques : statut professionnel, familial, bénéfices …
- Noirs, qui concernent les facteurs professionnels : satisfaction au travail, conditions de travail, politique de l’entreprise…
En effet, ces données sont également importantes car l‘insatisfaction professionnelle, l’environnement du travail jugé hostile, ou les problèmes liés à l’indemnisation (rente, pension d’invalidité) sont aussi des facteurs de risque de chronicité.
Plus les indicateurs relevés sont nombreux, plus votre suivi devra être rapproché.
Dans ce cas, il faudra même initier une prise en charge pluridisciplinaire.
Évaluation clinique intégrant les Red Flags
Anamnèse approfondie :
Pour déceler une lombalgie spécifique, et les Red Flags, vous devez conduire un entretien d’évaluation minutieux : antécédents personnels et familiaux, contexte de la douleur, évaluation de l’anxiété et de la dépression, signes associés à la lombalgie (perte de poids, fièvre, etc.).
Pour évaluer la douleur et son retentissement sur le quotidien de votre patient, différents outils sont disponibles.
Le plus courant est l’échelle visuelle analogique (EVA), mais vous pouvez également recourir à l’auto-questionnaire de Dallas, ou encore à l’Échelle d’Incapacité Fonctionnelle pour l’Évaluation des Lombalgies (EIFEL).
Pour vous aiguiller dans votre analyse de l’état psychique de votre patient, vous pouvez vous référer à d’autres outils tels que :
- L’échelle de Hamilton
- L’échelle de Beck Depression Inventory (BDI)
- Le questionnaire de dépistage Fear Avoidance Belief Questionnaire FABQ, qui évalue le niveau des peurs, appréhensions et évitements liés à la lombalgie.
- La Hospital Anxiety and Depression scale HAD, qui mesure le niveau d’anxiété et de dépression.
Examen physique :
Vous poursuivez votre consultation avec l’examen physique complet de votre patient :
- Évaluation de la mobilité de la colonne, palpation à la recherche des douleurs, test de la force musculaire et des réflexes.
- Tests neurologiques ciblés pour identifier d’éventuelles atteintes sensitives ou motrices.
Parmi les tests pouvant orienter votre diagnostic lors de l’évaluation fonctionnelle de votre patient lombalgique, on retrouve :
- Le signe de Lasègue,
- Le signe de Lasègue croisé,
- Le signe de Lasègue inversé (ou signe de Léri),
- Le signe de Thomas
- Le signe de Trendelenbourg
- Le flapping test.
Décision clinique :
Une fois votre interrogatoire et votre examen clinique terminés, vous classez la lombalgie dont souffre votre patient dans l’une des 3 catégories suivantes :
- Bénigne : elle ne nécessite alors qu’une surveillance et un traitement symptomatique. Vous poursuivez votre prise en charge, l’ajustez au besoin, et continuez à évaluer l’état de votre patient.
- À surveiller : dans ce cas, vous avez relevé la présence de Red Flags modérés qui nécessitent des investigations complémentaires.
- Urgente : après avoir détecté des critères relevant de l’urgence, tels qu’une suspicion d’infection, de fracture métastasique ou de syndrome de la queue de cheval, vous orientez votre patient vers un médecin, et lui référez sans tarder.
Lorsque les séances de kinésithérapie se poursuivent, pensez à mesurer l’évolution des drapeaux rouges à chaque fois, et à surveiller l’apparition de nouveaux symptômes d’alerte.
À noter que certains Red Flags excluent que vous interveniez en première intention.
Il s’agit des cas où votre patient présente de signes :
- Traumatique
- Infectieux
- Neurologique
- Tumoral
- Inflammatoire
- Vasculaire.
Examens complémentaires : priorisation et recommandations
En présence de signes critiques ou de doute sur le diagnostic, certains examens complémentaires peuvent être nécessaires.
Ordre recommandé (HAS 2023) :
Les recommandations actuelles préconisent de respecter l’ordre suivant :
- Radiographies standards :
Elles permettent de rechercher une fracture ou des anomalies structurelles de la colonne vertébrale.
En l’absence de drapeau rouge, il n’y a pas d’indication à réaliser une imagerie rachidienne en présence d’une poussée aiguë de lombalgie. En revanche, elle est indiquée en cas de lombalgie chronique.
- Bilan biologique :
Le bilan biologique permet surtout d’évaluer le risque infectieux ou inflammatoire. Dans ce cas, les principaux « marqueurs » analysés sont la NFS, la VS, et la CRP.
L’électrophorèse des protéines complètera l’analyse, en cas de suspicion de maladie auto-immune.
- IRM :
L’Imagerie par Résonance Magnétique est recommandée pour des points d’appel précis (neurologie, suspicion de tumeur ou infection), ou en cas de lombalgie chronique. Elle sera remplacée par la TDM si l’IRM est contre-indiquée.
Tests spécifiques :
Certains examens spécifiques pourront compléter l’évaluation initiale, et permettre de poser un diagnostic avec certitude. Les plus fréquemment recommandés sont :
- L’électromyographie, pour évaluer les atteintes nerveuses.
- Le scanner, pour visualiser les structures osseuses complexes.
Critères pour demander des examens complémentaires :
Nous l’avons mentionné ci-dessus, la présence de plusieurs Red Flags est un critère de gravité, qui doit impérativement conduire à la réalisation de ces examens complémentaires.
L’autre critère qui nécessite de les réaliser est l’échec du traitement initial ou l’aggravation des symptômes.
Gestion des situations alarmantes
Quand référer un patient aux urgences ?
Certaines situations appellent une orientation immédiate de votre patient vers les urgences. Il s’agit des cas de :
- Déficit neurologique brutal (paralysie ou anesthésie en selle).
- Douleur intense résistante aux antalgiques usuels.
- Syndrome inflammatoire biologique important.
Prise en charge immédiate :
Dans ces cas, vous rédigez un courrier d’adressage précis et ciblé au médecin.
Vous référez sans délai pour qu’une prise en charge multidisciplinaire adaptée soit mise en œuvre rapidement (chirurgiens, neurologues, oncologues, psychiatres, rhumatologues…).
Vous établissez un plan de soins personnalisé et adapté à la pathologie identifiée, une fois l’urgence traitée et le diagnostic posé.
Prévenir la chronicité : meilleures pratiques
Stratégies de prévention :
Pour éviter le glissement vers la chronicité, les soins manuels que vous prodiguez doivent impérativement être complétés par un accompagnement psychologique :
- Dédramatisation de la pathologie et de la douleur,
- Réassurance vis à vis de l’évolution de la lombalgie,
- Vulgarisation des terminologies employées sur les comptes-rendus, et qui peuvent engendrer ou majorer un stress, etc.
En plus de la sphère émotionnelle, et de l’aspect plus commun de la prise en charge kinésithérapeutique, vous encouragez une reprise précoce des activités légères, et intégrez des exercices adaptés pour éviter le déconditionnement musculaire.
Approche multidisciplinaire :
Si vous relevez plusieurs Yellow Flags, pensez à initier une prise en charge multidisciplinaire, et à collaborer avec les médecins généralistes et spécialistes, les infirmiers, les psychologues, les diététiciens, les ergothérapeutes et même les médecins du travail, le cas échéant.
Programmez également des suivis réguliers pour ajuster les soins, prévenir les rechutes ou anticiper les récidives. Ce suivi sera adapté à chaque patient en fonction des objectifs que vous avez fixés conjointement.
À chaque nouvelle séance, vous procédez à un nouvel interrogatoire et à un nouvel examen clinique pour écarter les signes d’alerte, évaluer la douleur, son impact sur le quotidien et sur l’humeur, et l’efficacité de votre prise en charge.
Cet accompagnement thérapeutique permet aussi à votre patient de s’impliquer dans ses soins.
Communication avec les patients :
Expliquer les Red Flags :
La communication avec votre patient est primordiale.
Tout au long du programme thérapeutique, vous serez amené à le rassurer, sans minimiser ses symptômes ou sa maladie.
Lorsque vous identifiez des Red Flags, vous les évoquez clairement avec votre patient pour qu’il comprenne le but des examens qu’il devra subir, et en insistant sur le fait qu’ils sont demandés pour sécuriser sa prise en charge, et ne pas passer à côté d’une maladie sous-jacente ou majorer les douleurs existantes, faute d’un diagnostic précis et sûr.
Communiquer les résultats d’imagerie :
De la même manière, lorsque votre patient reçoit les résultats des clichés réalisés, pensez à reprendre avec lui leurs conclusions afin de vous assurer qu’il les a bien comprises.
Ces explications devraient le rassurer, et lui permettre d’aborder la suite de la prise en charge avec plus de sérénité et de confiance.
Clarifiez les prochaines étapes : surveillance, examens supplémentaires, traitements…
Impliquer le patient dans sa prise en charge :
Pensez à éduquer votre patient sur l’importance du suivi et de la prévention, et encouragez-le à signaler sans tarder tout nouveau signe inquiétant.
Toutes ces étapes sont essentielles pour obtenir l’adhésion de votre patient dans le programme de soins.
Pour conclure…
Comme nous venons de le voir, les drapeaux rouges (« Red Flags ») indiquent la présence de signes cliniques critiques qu’il faut investiguer par des examens complémentaires, et qui nécessitent une orientation rapide vers un médecin.
Ces Red Flags vous servent aussi de points de repère et d’alerte, dès la consultation initiale, et tout au long de l’accompagnement que vous mettez en place en concertation avec votre patient.
Une évaluation précoce, une communication efficace, et une approche multidisciplinaire sécurisent les soins et optimisent les résultats cliniques.
Mais pour cela, il est crucial que vous intégriez ces outils dans votre pratique.
Si vous souhaitez en savoir plus sur les troubles musculosquelettiques, leur repérage, et leur prise en charge, ou si vous souhaitez compléter vos connaissances ou les réactualiser, différentes actions de DPC sont disponibles.
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Sources :