Prise en charge de la douleur : rôle, responsabilités et outils pour les infirmiers

Si dans la plupart des cas, la douleur est ponctuelle et régresse spontanément une fois le choc passé, elle peut aussi devenir chronique : c’est le cas pour 1 Français sur 3.

Pour agir et trouver des solutions pour ces 12 millions de Français, la prise en charge de la douleur s’est invitée dans les débats publics, et c’est ainsi que sont nées la Loi du 4 mars 2002, la première à considérer que soulager la douleur est un droit fondamental, et la Loi de 2004, qui a fait de la lutte contre la douleur, une des priorités nationales.

Dans votre pratique infirmière, vous êtes souvent confrontés à la douleur, qu’elle soit chronique, aiguë ou induite par l’un des soins que vous prodiguez à vos patients.

Et, l’importance de votre rôle à chaque étape de sa prise en charge n’est plus à démontrer.

Si les 3 Plans Douleur et les progrès des dernières années ont amélioré la prise en charge des patients douloureux, l’évaluer et la soulager durablement n’est pas toujours simple.

Et, plus difficile encore est votre positionnement pour traiter la douleur, puisque d’une part, on vous demande de la prendre en considération et de la soulager et, que d’autre part, votre rôle y est limité et très souvent soumis à prescription médicale.

Alors, quel est votre rôle dans l’évaluation, la prise en charge et le suivi de la douleur ?

De quels outils disposez-vous pour la détecter et la soulager ?

Et, quelle est votre responsabilité à l’égard de vos patients douloureux ?

C’est ce que nous verrons ci-après.

Définition OMS :

L’OMS définit la douleur comme « une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à, ou ressemblant à celle associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle ».  

Elle implique la sphère cognitive et comportementale, et donc les émotions, l’humeur et l’attention.

infirmiere avec une patiente

Classifications :

On classe la douleur en fonction de :

  • Sa durée : aiguë, chronique.
  • Son mécanisme : nociceptive, neuropathique, nociplastique, mixte.

Les types de douleur :

  • La douleur aiguë : consécutive à une blessure ou une lésion de courte durée.
  • La douleur chronique : persistant au-delà de 3 mois.
  • La douleur procédurale : induite par les soins, les examens ou la mobilisation de votre patient.

Enjeux cliniques :

Parce que vous intervenez en première ligne et savez instaurer une relation privilégiée avec vos patients, vous connaissez mieux que quiconque l’impact que peut avoir une douleur non soulagée sur l’observance thérapeutique mais aussi sur la qualité de vie, la récupération, et le moral de vos patients douloureux.

Et, parce que vous en connaissez la portée, vous savez que votre rôle dans son soulagement est déterminant.

Votre rôle dans la prise en charge de la douleur est réglementé.

Droits des patients :

La Loi du 4 mars 2002 :

L’Article L. 1110-5 du Code de santé publique prévoit que : « Toute personne a (…)  le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue (…). Les actes de prévention, d’investigation ou de soins ne doivent pas, en l’état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté ».

Toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur, et celle-ci doit être en toute circonstance prévenue, évaluée, prise en compte et traitée.

Vos obligations :

Le Décret n°2002-194 du 11 février 2002, et plus précisément l’Article 7, stipule que vous êtes habilités à entreprendre et à adapter les traitements antalgiques, dans le cadre des protocoles préétablis (qui doivent figurer dans le dossier de soins infirmiers), écrits, datés et signés par un médecin.

Il est abrogé par le Décret 2004-802 2004-07-29 art. 5, qui prévoit que vous « participiez à la prévention, à l’évaluation et au soulagement de la douleur et de la détresse physique et psychique de vos patients, particulièrement en fin de vie au moyen des soins palliatifs, et que vous accompagniez leur entourage, si besoin ».

Dans le cadre de votre rôle propre et de votre rôle prescrit, vous devez vous employer à « mettre en œuvre tous les moyens mis à votre disposition pour assurer à chacun une vie digne jusqu’à la mort ».

Code de déontologie infirmier :

L’Art. R. 4312-19 de code de déontologie précise que : « En toutes circonstances, l’infirmier s’efforce, par son action professionnelle, de soulager les souffrances du patient par des moyens appropriés à son état et l’accompagne moralement ».

Traçabilité de la douleur :

La traçabilité est impérative : vous devez consigner dans le dossier de soins chaque évaluation et action entreprise pour soulager la douleur (jour, heure, type de douleur, localisation, déclencheur, moyens mis en place, résultats, coordination, conduite à tenir, modification de traitement, signature…).

En l’absence de traçabilité, votre responsabilité peut être engagée, puisque comme vous le savez « tout soin non documenté est réputé non fait », et la prise en charge de la douleur est un droit fondamental.

Enfin, vous devez connaître les protocoles et référentiels (HAS, SFETD, recommandations locales), et donc actualiser régulièrement vos connaissances.

Toutes ces obligations légales ont pour vocation de soulager la douleur du patient, et respecter sa dignité.

Votre rôle dans la douleur :

Anticiper la douleur :

Vous devez anticiper et prévenir la douleur.

Délivrer les informations nécessaires au succès de la prise en charge :

Les informations délivrées portent essentiellement sur la nature du traitement, les bénéfices et limites attendus, l’importance du respect de la prescription et de l’observation du traitement, notamment en cas d’auto-gestion…

L’information porte aussi sur le risque de douleur procédurale (pansements, prise de sang…), et le moyen de la prévenir.

Évaluer la douleur :

Vous identifiez et évaluez la douleur à l’aide des outils existants afin :

  • D’établir un plan de soins avec les objectifs SMART (ou faire établir un protocole antalgique).
  • D’en mesurer l’efficacité.
  • De le réajuster au besoin.


Assurer le suivi du patient douloureux :


Vous transmettez l’information au médecin et/ou à l’équipe pluridisciplinaire en charge de votre patient, notamment en cas d’échec du protocole antalgique.

infirmier avec une patiente

Outils d’évaluation infirmiers :

Après avoir réalisé l’anamnèse, vous évaluez la douleur à l’aide des outils validés et adaptés aux capacités de votre patient.
Les plus fréquemment utilisés par la profession sont :

  • L’échelle numérique (EN), l’échelle visuelle analogique (EVA), et l’échelle verbale simplifiée (EVS).
  • Les échelles comportementales (Algoplus, Doloplus), surtout utilisées chez les patients incapables de communiquer.
  • Le questionnaire DN4 pour les douleurs neuropathiques.
  • Le questionnaire FIRST en présence de fibromyalgie.
  • Le schéma du bonhomme, la réglette EVA Pediadol, l’Evendol, l’échelle des 6 visages (FPSr : Face Pain Scale revised) ou des 4 jetons (Poker chip), pour les enfants.

Prise en compte du contexte :

Vous devez aussi tenir compte de l’histoire de la douleur, du retentissement psychologique et social qu’elle a, mais aussi du rapport qu’a votre patient avec la douleur (fausses croyances, peur d’avoir mal…).

1. Approches médicamenteuses :

Elles concernent :

  • Le respect de la prescription médicale ou du protocole rédigé par une structure spécialisée.
  • La vérification de la bonne observance thérapeutique.
  • L’évaluation de l’efficacité du traitement.
  • La transmission au médecin pour réajustement de l’antalgie.

Il est impératif de :

  • Connaitre les 3 paliers de l’antalgie et les effets indésirables potentiels des médicaments.
  • Reconnaître les situations à risque.
  • Avoir toujours à portée de mains un protocole infirmier de soins d’urgence (PISU).

Focus sur les paliers de l’antalgie :

  • Le palier 1 concerne les douleurs légères à modérées, traitées par aspirine, paracétamol et AINS, que l’on trouve en vente libre.
  • Le palier 2 est indiqué pour les douleurs modérées à importantes, qui sont principalement traitées par codéine, nalbuphine, tramadol ou des associations de médicaments de paliers 1 et 2.
  • Le palier 3 concerne les douleurs très intenses, traitées par morphine (comprimé, sirop, injection, PCA…).

2. Approches non médicamenteuses :

Il existe différentes approches non médicamenteuses que vous pouvez intégrer à votre pratique, dans le cadre de votre rôle propre :

  • Relation d’aide, écoute bienveillante.
  • Approches psychocorporelles : massage, chaleur, positionnement, respiration contrôlée…
  • Distraction : imagination agréable, activités cognitives rythmiques, concentration externe de l’attention, imagination neutre…
  • Jeux, Réalité Virtuelle, dédramatisation
  • Relaxation, hypnose, méditation individuelle ou guidée
  • Musicothérapie
  • Aromathérapie…

Si vous n’êtes pas à l’aise avec ces approches, vous pouvez faire appel à un professionnel formé aux méthodes complémentaires, à une équipe mobile de la douleur ou un centre spécialisé.

3. Éducation et accompagnement du patient :

Enfin, informer, rassurer et éduquer votre patient douloureux est primordial.

Vos conseils devront être accessibles et adaptés à votre patient et à ses capacités, c’est à dire pratiques, simples et personnalisés.

Pour vous aider dans votre quotidien, vous pouvez vous tourner vers :

Les applications utiles :

  • Pour vous : Vidal Mobile, Pulse Life…
  • Pour vos patients, le suivi de ses douleurs, le rappel des prises médicamenteuses, le journal des symptômes : Outch !, Coach my pain, Petit bambou, Music care…

La Télémédecine :

Les solutions de télémédecine vous permettent :

  • De solliciter un avis médical en cas d’indisponibilité du médecin traitant ou si votre patient douloureux n’en a pas.
  • D’assurer votre suivi infirmier à distance dans le cadre des soins coordonnés (télésoin).

Zoom sur la Réalité Virtuelle :

La Réalité Virtuelle (VR) plonge les patients dans des expériences submersives personnalisées pour les détourner de leur douleur ou réduire l’anxiété qu’elle génère.

Contrairement aux analgésiques, elle n’interrompt pas les signaux de douleur, mais agit directement et indirectement sur la perception et le signalement de la douleur par l’intermédiaire de l’attention, l’émotion, la concentration, et la mémoire.

Elle pourrait être indiquée dans certaines douleurs chroniques et aiguës : greffe de peau, brûlures, changement de pansement, accouchement ou encore ponction, injection, prise de sang chez l’enfant.

L’écoute active et la bienveillance sont au cœur de cette prise en charge particulière. Elles vous permettent de soutenir votre patient sans minimiser sa plainte.

Pour compléter la prise en charge, pensez à y impliquer les proches aidants et à recommander des groupes de parole.

La clé est d’adapter la stratégie à l’histoire de votre patient, à ses peurs et à ses antécédents.

Les cas plus complexes nécessitent une approche multidisciplinaire : médecins généralistes et spécialistes (algologues, gériatres, psychiatres, rhumatologues…), psychologues, kinésithérapeutes, pharmaciens, équipes mobile douleur ou de soins palliatifs…

Assurez-vous de la fluidité de la transmission de vos évaluations et observations lors de la coordination.

Focus sur la consultation infirmière :

Dans le cadre des compétences élargies, les IPA douleur peuvent intervenir, en coopération avec des médecins.

Avec la réforme de la profession, vous pourriez bientôt être amenés à proposer vous aussi des consultations douleur, d’autant plus qu’il existe déjà des formations en Consultation infirmière, et d’autres, dédiées à la prise en charge des douleurs.

Alors, si vous souhaitez acquérir de nouvelles compétences et de nouveaux outils, n’hésitez pas à vous inscrire à l’une d’elles.

Pour terminer, se former à la prise en charge de la douleur, c’est aussi savoir adapter les soins aux différentes situations rencontrées au domicile de vos patients :

  • Douleur chez l’enfant, qui nécessitedeséchelles adaptées et la présence des parents.
  • Douleur en gériatrie, sachant queles personnes âgées ont tendance à minimiser leurs douleurs redoutant l’hospitalisation.
  • Douleur en soins palliatifs,qui nécessite une adaptation permanente et qui priorise le confort du patient.
  • Douleur post-opératoire qui demande uneprévention active dès l’entrée du patient.

Comme nous venons de le voir, vous êtes un acteur central de la prise en charge de la douleur : vous intervenez aussi bien dans son évaluation et son soulagement que dans l’accompagnement de votre patient douloureux.

La loi a fait de la lutte contre la douleur un droit fondamental, et la prendre en compte, c’est aussi considérer pleinement votre patient.

Alors, pour jouer pleinement ce rôle et respecter la dignité de votre patient, soyez attentif au moindre signe.
Et, pour lui apporter des soins de qualité et conformes aux dernières recommandations, pensez à actualiser régulièrement vos connaissances avec l’une de nos actions DPC dédiées.

Pensez aussi à collaborer étroitement avec l’équipe multidisciplinaire afin de remplir pleinement, et conjointement, cette mission de santé publique.

Enfin, si vous avez trouvé cet article utile, n’hésitez pas à le partager autour de vous.

Source :

Vidal

HAS

Ameli

Newsletter

Inscrivez-vous à notre newsletter pour recevoir toutes les actualités !

Suggestion d'articles

Quelle profession exercez-vous ?